Les droits et les devoirs en matière de diligence et de surveillance dans le monde numérique: informations juridiques à l’attention des institutions d’aide à la jeunesse

Rahel Heeg

Conseil technique: Peter Mösch (Haute école Lucerne), Daniel Sollberger (Police cantonale de Bâle-ville / Brigade des mineurs et prévention)

Definitions

La garde constitue une partie de l’autorité parentale. Elle comprend le droit de déterminer le lieu de résidence, les soins et l'éducation d'un mineur. Elle ne se compose pas uniquement de droits (p. ex. établir des règles), mais également d’obligations. Le devoir de diligence signifie être responsable de l'intégrité physique, mentale, spirituelle et sociale de l'enfant ainsi que prendre toutes les précautions nécessaires à sa protection et son développement. Les droits et les devoirs en matière de diligence peuvent être transférés à des tiers, par exemple à un foyer. La notion de devoir de protection signifie l'obligation de garantir la protection. Cette obligation découle, en matière de prise en charge, du lien juridique entre parents et enfants ou d’un mandat conforme au droit des obligations (pour les institutions). La notion de devoir de surveillance signifie que les enfants doivent être correctement surveillés (en fonction du contexte, de l'âge, du caractère et de la maturité psychique de l'enfant). Le degré de soins requis pour la surveillance des enfants dépend au cas par cas. En principe, ce sont les parents qui, dans le cadre de la garde parentale, exercent ce devoir de surveillance. Ce dernier peut être transféré à d'autres personnes, par exemple aux collaborateurs d'une crèche. Lors de l'admission d’un enfant dans une institution, celle-ci assume le devoir de surveillance durant la présence du mineur au sein de l’établissement.

Les mesures disciplinaires servent à sanctionner les infractions aux règles avec pour objectif d'assurer à l’avenir le respect des obligations. Dans le contexte éducatif, cette notion juridique n'est guère utilisée; on parle plutôt de règles ou de conséquences.

Les mesures de sécurité ont pour but d’assurer (directement ou non) la sécurité.

Les mesures restreignant la liberté portent atteinte à l'intégrité physique et mentale ou à la liberté de mouvement sans le consentement des personnes concernées.

Le Code civil suisse (CC) met l'accent sur les droits de la personnalité de chaque individu, y compris les enfants et les jeunes. Selon le CC, chacun d’entre nous dispose des mêmes droits et devoirs dans les limites de la loi (art. 11 CC). Aux termes de l'article 28 CC, toute personne a droit à l'intégrité notamment dans les domaines suivants de la personnalité:

  • Personnalité physique: protection de l'intégrité physique, liberté de mouvement

     

  • Personnalité affective (émotionnelle): protection contre les atteintes immédiates et durables contre la sphère émotionnelle.

     

  • Personnalité sociale: sphère secrète et privée, confidentialité, liberté informationnelle (etc.)

Les personnes sont capables de discernement, si elles peuvent agir raisonnablement dans une situation concrète, c'est-à-dire si elles comprennent la portée de leurs actes (capacité de juger) et agissent librement sur la base de cette appréciation (capacité d’agir selon sa volonté).

Droit d’aviser: toute personne peut aviser l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (APEA), si l’intégrité d’un individu semble menacée, sous réserve des dispositions relatives au secret professionnel.

Devoir d’aviser: dans l’exercice de sa fonction officielle, toute personne est tenue d’aviser l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA), si l’intégrité d’un individu semble menacée.

Aperçu de la situation de fait

En principe, les parents exercent le devoir de diligence et de surveillance, ils représentent leur enfant face à des tiers comme l’institution où vit le mineur.

Suite à l’accueil d’un enfant dans un établissement d’aide à la jeunesse, une partie des tâches parentales et des compétences éducatives ainsi que les obligations en lien avec la protection du mineur sont transmises à l’institution et consignées dans un contrat de placement. L’institution représente les parents dans leurs tâches éducatives. Elle s’engage à exécuter ce mandat avec loyauté et soin conformément au droit des obligations. Toutefois, les décisions importantes demeurent de la compétence des détenteurs de la garde parentale ou, le cas échéant, d’un curateur ou d’un tuteur. Il est particulièrement important de connaître les dispositions convenues dans les contrats d’hébergement et les conventions individuelles à des fins de preuve. En signant ces contrats, les parents ainsi que les enfants et les jeunes capables de discernement donnent leur consentement.

Dans le cadre de leur devoir de diligence, les collaborateurs des institutions d’aide à la jeunesse doivent garantir l'intégrité des enfants et des jeunes. Cela consiste notamment à prendre des mesures de protection.

Dans le cadre de leur devoir de surveillance, les collaborateurs doivent s'assurer que les enfants et les jeunes qui leur sont confiés ne causent des dommages ou fassent du tort à personne. Le degré de surveillance ne peut être décrit en termes généraux; il dépend de divers facteurs (p. ex. stade de développement et situations de risque individuelles). Un point important: en Suisse, les enfants dès l’âge de 10 ans sont pénalement responsables, de sorte qu'ils assument également une responsabilité individuelle en cas de violation du droit pénal.

Le chef de famille est responsable des personnes placées sous sa surveillance. Il peut s’agir d’une personne physique ou morale qui a la possibilité, en termes de droit et de fait, d’influer sur le comportement de ses «colocataires» et de prévenir les dommages causés à des tiers. Dès lors, une association qui gère un foyer pour enfants est considérée comme chef de famille.

La question de savoir s'il y a eu atteinte au devoir de diligence ou de surveillance ne peut généralement être tranchée qu'après l'analyse des contrats et des circonstances concrètes. En cas d’incertitude, il s’agit de considérer le degré de surveillance et de diligence auquel on peut s'attendre de bonne foi dans la situation concrète.

A titre de représentants de l’autorité parentale, les établissements d’éducation ont l’autorisation de prendre des mesures disciplinaires et éducatives. Il en découle un rapport de tension entre le droit à la liberté et les intérêts liés à la protection et à la sécurité. Les droits de la personnalité de l'enfant doivent être considérés: un enfant capable de discernement peut exercer ces droits en toute autonomie, sans que les parents ou le tuteur n’aient à intervenir. La capacité de discernement doit toujours être évaluée en fonction d’une situation concrète. Pour déterminer si les droits de la personnalité font l’objet d’une violation, il faut analyser les circonstances concrètes. En cas d’incertitude, il s’agit de considérer le degré de droits de la personnalité auquel on peut s'attendre de bonne foi dans la situation concrète.

De même, pour ce qui est des restrictions aux droits de la personnalité, il importe tout particulièrement de connaître les dispositions expressément et manifestement convenues dans les contrats d’hébergement, les règlements ou les conventions individuelles; ces points ont été acceptés par les parents en tant que représentant légal, mais aussi par le jeune capable de discernement. La proportionnalité de la restriction des droits de la personnalité doit également faire l'objet d'un examen critique dans le cas des contrats existants. Par ailleurs, seules les conventions qui peuvent être vérifiées et appliquées ont un sens. La restriction des droits de la personnalité doit toujours être examinée d’un oeil critique afin de juger s’il est possible d’atteindre les objectifs au moyen d’autres mesures moins drastiques. Les contrats et les conventions individuelles doivent être proportionnés. Le principe de la proportionnalité peut uniquement être évalué dans le cadre d'un exemple concret.

Si l'exercice des droits de la personnalité par un enfant capable de discernement est étroitement lié à un risque ou à un besoin de protection, comme le fait de jouer intensivement à des jeux informatiques ou l'échange d’informations personnelles avec des inconnus à travers les réseaux sociaux, tant les parents que l'institution ont un devoir de diligence. Il n’est pas facile de se positionner sur la question de savoir qui peut, en dernier ressort, prendre une décision sur un problème particulier - et si le représentant légal doit être informé et impliqué.

Lorsque le besoin de protection d'un enfant n'est pas garanti, l’APEA peut ou doit être avisée. Il s’agit de savoir si le bien-être de l'enfant semble menacé, sans que les parents ne remédient à la situation. En cas de besoin, les professionnels du domaine du travail social peuvent se consulter au sein de leurs services ou, si un doute subsiste, contacter l’APEA. Les consultations au cas par cas avec des personnes extérieures (enseignants, etc.) sont uniquement autorisées, si la situation l’exige.

Dans le milieu de l’aide à la jeunesse, les mesures restreignant la liberté en lien avec les médias consistent par exemple à interdire partiellement ou totalement l'utilisation de téléphones mobiles ou à bloquer certains réseaux sociaux. Les motifs de la restriction peuvent être les suivants: mesures de sécurité en vue de protéger la sécurité des mineurs concernés, des collaborateurs ou de tiers, mesures disciplinaires en cas de transgression des règles et mesures éducatives pour le bien-être des mineurs concernés et pour leur développement.

En cas de mesures restrictives de la liberté, les principes suivants doivent être considérés:

  • Les enfants et les jeunes doivent avoir la liberté de façonner leur vie compte tenu de leur maturité.
  • En cas de sanctions (même légères), les détenteurs de l’autorité parentale doivent donner leur consentement sur l'intensité, le motif, la durée et la nature de la sanction.

Le principe de proportionnalité peut uniquement être évalué dans le cadre d'un exemple concret.

Les restrictions de liberté doivent être justifiées. Les motifs admissibles sont:

  • Une base légale pour protéger un intérêt public ou les droits fondamentaux de tiers, à condition que l’intervention soit proportionnée. Dans certains cantons, il existe des bases juridiques pour les mesures disciplinaires et de sécurité dans le cadre de l’exécution des peines et des mesures pour les mineurs et de l’aide à la jeunesse.
  • Le consentement des mineurs concernés, à supposer qu’ils soient capables de discernement et pleinement informés de la mesure. Des exceptions à la capacité de discernement sont uniquement possibles si les besoins liés à la protection et à l’éducation s’avèrent considérables. Un consentement, donné depuis un certain temps déjà, doit être remis en question, si la restriction de liberté est sévère et d’autant plus imprévisible.

Informations générales

Le Département fédéral de justice et police exige des cantons qu'ils réglementent les mesures disciplinaires et de sécurité pour les mineurs placés en vertu du droit civil et du droit pénal des mineurs (en tant que violation des droits fondamentaux). Toutefois, une loi correspondante n'existait en 2015 que dans le canton de Berne et dans un concordat des cantons latins. Les lois et décrets cantonaux en vigueur ont fait l'objet d'une expertise en 2015, laquelle critique le fait que les mesures éducatives sont comprises comme une «étape préliminaire» aux mesures disciplinaires. Ce rapport demande que cette perception soit remise en question. Il doit y avoir une distinction claire entre les mesures (principalement) pédagogiques et (principalement) disciplinaires. Les mesures disciplinaires devraient être utilisées à titre d’urgence jusqu'au rétablissement d’un cadre qui permet au travail éducatif de déployer à nouveau ses effets. Il s’agit non seulement d'expliquer aux enfants et aux jeunes les motifs pour ordonner des mesures disciplinaires, mais il faut également les informer sur leur finalité.

 

Sources/pour en savoir plus:

Curaviva (2015): Professionelles Handeln im Spannungsfeld von Nähe und Distanz. Eine Handreichung aus Sicht der Praxis und der Wissenschaft. Link

Mösch, Peter (2014): Rechtliche Rahmenbedingungen für freiheitsbeschränkende Massnahmen im Heimbereich. Zeitschrift für Kindes- und Erwachsenenschutz.

Gutachten (2015): Die Rechtsstellung von zivil- und jugendstrafrechtlich platzierten Minderjährigen: Gesetzliche Grundlagen und Problemfelder bei der gemeinsamen Unterbringung. Link

Conclusions et recommendations à l'attention des institutions d'aide à la jeunesse

Principes

  • Pour les questions numériques, il est assez difficile de faire une distinction précise entre le devoir de diligence et de surveillance des parents et celui de l’institution, car les enfants et les jeunes vivent en permanence dans un environnement numérique; dès lors, il n’est pas judicieux de vouloir clairement situer dans le temps les pratiques. En ce qui concerne les médias numériques, l'établissement et les parents devraient donc se considérer comme des partenaires en matière d’éducation.
  • Les pratiques dans le monde du numérique ne sont pas nécessairement visibles aux personnes extérieures. Par conséquent, le devoir de diligence et de surveillance en lien avec les thématiques numériques peut être uniquement exercé, si l'on a une idée de la sphère virtuelle des enfants et des jeunes. Il convient d’adopter une attitude respectueuse à l'égard des enfants et des jeunes ainsi que de leur montrer un réel intérêt pour ce domaine, afin qu’un échange puisse se faire lors de pratiques ou de contenus problématiques. Si l’attitude des professionnels relève avant tout du contrôle et de la sanction, les mineurs peuvent être tentés de dissimuler les actes et les contenus qui posent problème.
  • Les solutions techniques telles que le blocage de certains sites web peuvent fournir un cadre pour le travail pédagogique, mais elles ne le remplacent jamais; les questions numériques doivent être abordées avec les enfants et les jeunes.
  • Les mesures éducatives et disciplinaires (conséquences en cas de transgression des règles) devraient être clairement distinguées. Les mesures disciplinaires devraient seulement être appliquées jusqu’au rétablissement du travail pédagogique. Faites toujours le choix de conséquences dont l’intensité de l’intervention est la plus faible.
  • Veillez à protéger les droits de la personnalité des enfants et des jeunes vis-à-vis de leurs parents c’est-à-dire de ne pas toucher à la sphère secrète et privée des enfants et des jeunes sans nécessité.

Questions

  • Le devoir de diligence et de surveillance des parents et de l'institution par rapport aux questions numériques est-il décrit avec transparence? Les contenus sont-ils judicieux, c'est-à-dire les domaines de compétence et les formes de coopération sont-ils propices à une prise en charge optimale des enfants et des adolescents?
  • Sous quelle forme l’institution et les parents échangent-ils en matière de numérique? Comment ces échanges sont-ils vécus?
  • Les droits de la personnalité de l'enfant sont-ils respectés lors des échanges entre l'institution et les parents?
  • Les formes de contrôle et les conséquences en cas de transgression des règles sont-elles proportionnées (p. ex. confiscation du téléphone mobile en cas d'inconduite)? Y aurait-il des moyens moins drastiques?
  • Si les parents ne couvrent pas sérieusement les besoins de protection d'un enfant/jeune dans le monde numérique, est-il judicieux d’en aviser l’APEA?

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Indications sur les bases légales

Code civil

art. 17-19d sur la capacité de discernement des mineurs

art. 300 sur la représentation des parents dans l’exercice de l’autorité parentale

art. 301-305 sur les droits et devoirs des parents

Art. 333: Le chef de famille est responsable des personnes placées sous son autorité

Droit des obligations relatif au mandat institution – parents

art. 398: Responsabilité pour une bonne et fidèle exécution