Les conflits sociaux dans le monde numérique: informations juridiques à l’attention des institutions d’aide à la jeunesse

Rahel Heeg

Conseil technique: Peter Mösch (Haute école Lucerne), Daniel Sollberger (Police cantonale de Bâle-ville / Brigade des mineurs et prévention)

Definitions

Le harcèlement désigne la violence psychologique délibérée, ouverte et/ou subtile, sur une longue période de temps, dans le but d'exclure la victime de la société. Cela comprend les actes malveillants directs et indirects tels que taquiner, menacer, dévaluer, insulter, exposer, marginaliser, nuire à la réputation, retenir des informations, endommager des biens.

Le cyberharcèlement est une forme d’harcèlement qui utilise les médias numériques pour infliger délibérément et de façon répétée des souffrances, c'est-à-dire lorsqu'une personne est insultée, maltraitée, exposée ou harcelée sur Internet ou sur le téléphone mobile pendant une période prolongée, lorsque des textes, photos ou films sont diffusés via la messagerie instantanée, les chatrooms ou les réseaux sociaux afin d'insulter, exposer ou harceler une personne.

Aperçu de la situation de fait

Le harcèlement, c'est-à-dire la continuelle exclusion et humiliation d’individus, se produit dans des groupes qui se connaissent. L'attaque individuelle n'est pas nécessairement identifiable comme du harcèlement, elle est souvent légale et ne constitue donc pas nécessairement une infraction pénale. En général, quelques personnes sont activement impliquées dans les cas de harcèlement. Elles sont également soutenues par des suiveurs qui leur donnent le sentiment d’agir dans leur sens. D'autres ne s’impliquent pas, restent à l'écart ou détournent le regard. De cette façon, les auteurs sont encouragés dans leurs actions. Il ne sert pas à grand chose de prendre uniquement en compte les auteurs directs. Le harcèlement correspond plus à un phénomène de groupe comportant divers rôles. Il existe un déséquilibre des forces entre les auteurs et la victime, en raison du nombre d'auteurs/suiveurs et de la marginalisation sociale de la victime. Contrairement à un conflit, il est difficile pour la victime de mettre fin toute seule à cette situation; elle a besoin de recevoir de l’aide de l'extérieur.

En cas de cyberharcèlement, des problématiques spécifiques s’ajoutent au harcèlement «classique»: Tout d'abord, les informations, les photos et les insultes se propagent à la vitesse de l'éclair à de grands groupes de personnes. Deuxièmement, les insultes ont un effet durable, car les données peuvent être stockées et diffusées de manière incontrôlée sur Internet. En troisième lieu, les auteurs restent souvent anonymes: ils ouvrent par exemple des comptes avec un faux profil et diffusent les informations à l'insu de la victime. Dès lors, les victimes de cyberharcèlement n'ont plus la possibilité de se sentir en sécurité, même à la maison; elles sont prises dans les filets du harcèlement.

Dans le cadre du harcèlement en ligne, des informations ou des photos qui visaient à l'origine des personnes spécifiques peuvent être largement diffusées et utilisées contre une personne. C’est le cas par exemple des sextos qui sont des photos érotiques envoyées à quelqu'un comme preuve d'amour ou test de courage. Cette personne peut transmettre ces images à tout moment. La règle est la suivante: dès qu'une image est disponible en ligne et qu'elle a été envoyée à d'autres personnes, il n'est plus possible de la contrôler.

Dans la pratique, une distinction entre harcèlement et cyberharcèlement n'a guère de sens, puisque l'intimidation n'existe pratiquement plus sans composantes numériques. Le cyberharcèlement se produit presque toujours parmi des gens qui se connaissent.

Informations générales

Il existe différentes approches d'intervention, avec un bref aperçu ici: lien

Les mesures d'intervention efficaces sont à long terme, perçoivent le harcèlement en tant que phénomène de groupe et impliquent l'ensemble du groupe; elles élaborent des règles de comportement efficaces, incluent les émotions pour faire naître l’empathie et proposent des aides aux victimes. On ne réagit plus au harcèlement par le silence et en fermant les yeux. Les méthodes visent à favoriser l’empathie et à créer une motivation intrinsèque chez les enfants et les jeunes à se comporter de manière prosociale. Les méthodes enseignent la manière avec laquelle il est possible de ressentir les émotions vécues par son vis-à-vis et de s’intéresser à cette personne. Les interventions en matière de cyberharcèlement doivent être effectuées par des professionnels formés. Un suivi régulier sur plusieurs mois est nécessaire, car le risque de rechute est élevé.

Sources/pour en savoir plus:

Klicksafe.de (2016): Ratgeber Cyber-Mobbing. Link

Klicksafe.de (2018): Was tun bei (Cyber)Mobbing Link

Conclusions et recommandations à l’attention des institutions d’aide à la jeunesse

Principes

  • Les conflits entre enfants/adolescents se produisent (également) dans le monde numérique. La prévention du harcèlement est la prévention du cyberharcèlement: soyez attentif à l'exclusion. Discutez des conflits et des différends avant qu'ils ne s'aggravent.
  • Discutez en équipe et avec les mineurs de la distinction entre le fait d’avoir une dispute au quotidien et de dépasser les bornes. Développez ensemble des principes sur le traitement des différends.
  • Si l'incident est grave, il est recommandé de consigner les agressions, de sécuriser les preuves et de le signaler à la police.
  • Sensibilisez les enfants et les jeunes à la situation juridique. Messages possibles: Si tu envoies des photos ou des messages insultants et embarrassants d'autres personnes ou si tu les montres ou les fais suivre, tu es considéré comme l’auteur.
  • Discutez avec les enfants et les jeunes des informations personnelles qu'ils diffusent, où, à qui et de quelle façon, et quelles pourraient en être les conséquences. L'accent ne devrait pas être mis sur les interdictions ou les risques. Les mineurs devraient pouvoir développer leur propre point de vue. Il s’agit de respecter les enfants et les adolescents, lorsqu’ils ont un jugement plus désobligeant que le vôtre. Questions possibles: Ces informations, ces images peuvent-elles être utilisées contre moi, si elles tombent entre de mauvaises mains? Est-ce que je peux et est-ce que je veux prendre ce risque? Puis-je réduire le risque?
  • Formez les professionnels à faire face aux situations de harcèlement. Définissez les responsabilités et les processus en cas d'incidents graves.

Questions

  • Avons-nous des principes communs dans nos rapports avec les autres? Partageons-nous une compréhension de base du moment où survient une dispute ou une exclusion, et avec quel degré de gravité? Parlons-nous ouvertement des conflits et des incidents, même si cela nous rend la vie plus difficile?
  • Les enfants et les jeunes dont nous nous occupons vivent-ils le rejet ou l'exclusion de leurs pairs? (au sein de notre institution, à l'extérieur).
  • Sur quelles plateformes numériques les enfants et les jeunes que nous prenons en charge vont-ils? De quelles informations générales les mineurs ont-ils besoin pour pouvoir utiliser avec compétence ces plateformes et prendre des décisions conscientes? Disposez-vous de ces informations?
  • Comment sommes-nous informés des conflits sociaux? Est-il possible qu’il y ait des conflits dont l’institution n’est pas au courant?
  • Les professionnels savent-ils comment réagir face à des situations de harcèlement? Les responsabilités et les processus sont-ils définis en cas d’incidents graves?

Exemples

Tous les enfants du groupe de vie ont un smartphone. Il y a un groupe WhatsApp de tous les enfants. Sonja, cependant, a été exclue par les autres enfants. Sonja a peur qu’ils disent du mal d’elle sur WhatsApp. Elle demande à une éducatrice de vérifier cela.

L'exclusion d'un groupe numérique commun est une forme de harcèlement. Dans ce cas, il est nécessaire d’intervenir, indépendamment du fait que Sonja soit ou non critiquée dans le groupe WhatsApp. L'intervention ne devrait pas porter sur des interdictions ou des déclarations de culpabilité, mais sur une discussion ouverte de la situation.

En cas de soupçon urgent d'infraction pénale, les collaborateurs peuvent confisquer le téléphone mobile et aviser la police. Ils peuvent vérifier le téléphone mobile uniquement avec le consentement des mineurs ou sur accord préalable mentionné dans le contrat sur les médias; le principe de proportionnalité doit être considéré. Lors d'incidents qui pourraient être pertinents sur le plan pénal, les professionnels devraient faire en sorte que le contenu soit présenté aux jeunes. Si ces derniers ne sont pas d'accord, le téléphone portable doit être remis à la police pour contrôle. Ici aussi, le développement d'une attitude commune joue un rôle important.

Pedro, 15 ans, donne à Adrian, 15 ans, l’accès à son hotspot, parce que ce dernier a épuisé son volume de données. Au même moment, Adrian reçoit de la part d’un camarade d’école une photo nue d'une camarade de classe. Il la montre à Pedro, les deux rient et font des commentaires désobligeants sur la poitrine de la jeune fille. Adrian transmet la photo à ses camarades.

 

Toutes les activités via un hotspot sont assignées à l’utilisateur du hotspot. Dans la pratique, il est difficile de savoir qui a fait quoi. Pedro doit être conscient qu'à première vue, en cas d'activités illégales d'Adrian, il est lui-même considéré comme l'auteur.

La transmission de photos de sexting peut avoir de graves conséquences négatives à long terme pour la personne représentée et peut conduire à des situations de harcèlement. Il pourrait en résulter des accusations de diffamation et de calomnie. Les dommages infligés et les indemnisations y relatives seront jugés dans le cadre d'une procédure civile. En outre, une plainte contre la diffusion de pornographie enfantine est possible (voir chapitre 4 Pornographie).

Indépendamment des questions de droit pénal et civil, il s’agit de discuter avec Pedro et Adrian de différents sujets : pornographie, harcèlement, protection des données.

Indications sur les bases légales

Bien qu'il n'existe pas de loi explicite contre le cyberharcèlement, il existe des lois sur les actes individuels qui touchent au cyberharcèlement.

Code pénal:

Art. 143 Accès indu à un système informatique

Art. 144 Détérioration de données

Art. 147 Utilisation frauduleuse d’un ordinateur

Art. 156 Chantage

Art. 173 Diffamation

Art. 174 Calomnie

Art. 177 Injure

Art. 179 Infractions contre le domaine secret ou privé au moyen d’un appareil de prises de vue

Art. 179 Soustraction de données personnelles

Art. 180 Menaces

Art. 181 Contrainte

Le chantage et la contrainte sont des infractions poursuivies d’office; les autres infractions sont poursuivies, si une plainte a été déposée par la victime.

Les infractions sont poursuivies d'office par la police ou la justice, lorsqu'elles en ont connaissance. Les infractions sur plainte ne sont poursuivies par la police ou la justice que si la victime dépose une plainte pénale contre l'auteur (ou contre inconnu).